le cabaret


le cabaret – кабаре - nightclub



Monologue de Rodica

En octobre 1994, Rodica a 19 ans quand elle s’enfuit de sa captivité et rentre à pieds d’Istanbul en Moldavie, après avoir été victime du trafic d’êtres humains*.

Elle a été témoin avec son père, enseignant, dans son petit village natal, de ce moment historique, en novembre 1989, où sur le pont Sculeni, à la frontiere Roumaine, eu lieu la «chutte du mur» en Moldavie. Sur ce pont un grand nombre de polititiens, d’intellectuel, d’acteurs, d’academiciens et surtout des Moldaves ont fêté avec des bouquets de fleurs et un geste symbollique fort, le début d’une ère nouvelle. Pour l’écolière Rodica cette ère s’annoncait pleine d’espoirs, elle en parle même avec affection, mais ce monologue parle d’elle aujourd’hui et s’adresse à son père le jour de la fête du vin, des années après son retour et un long mutisme sur ces mois vécus dans l’esclavage…

* Ce texte est basé sur des histoires “vraies” et des rencontres, recueillit durant mes voyages en Moldavie entre 2003 et 2006. Le monologue a été écrit en s’inspirant des 3 monologues du long métrage “Le Voyage des comédiens (Ο Θίασος)” de Theo Angelopoulos.

“- Quand je suis rentrée tu m’as demandée pourquoi ce retour ? pourquoi ici ? pourquoi avoir choisie la pauvreté ?

Il n’y a rien ici pour toi” –tu m’as dis.

“- Si je pars aujourd’hui faire un nouveau départ ailleurs je ne rentrerai plus jamais.

Il n’y a rien que tu me propose que je ne l’ai déjà penser des centaines de fois ?

Quel projet pour mon avenir ?

Je ne le sais pas encore mais n’importe quelle décision je voudrais la faire ici, sans pression, ni urgence, seule.

Papa, il y a des choses que tu ne peux pas comprendre…

Cet après midi là d’il y a 9 ans, ma première fois. Sports Hotel. Cette chambre sombre, des rideaux fleuris, des marguerites… qui si je criais m’entendrait donc, parmi la cohorte des anges ?

Tu t’inquiètes pour moi père, je le sais. Tu crois me comprendre, tu t’efforces de le faire mais…” (grimace).

Elle le voit soulever un caisson de bouteilles de vin.

“- Attention Andrei, il est lourd ce caisson, les bouteilles sont pleines…

Le mot interdit ne s’est jamais prononcé entre nous.

Viol.

Oui ils m’ont violée, beaucoup de fois.

La première ils étaient trois.

J’étais terrifiée.

La terreur me rendait insensible.

Je regardais les marguerites. Je voyais le printemps.

Un printemps étranger mais qui ne me faisait pas peur.

Je croiyais qu’ils se débarrasseraient de moi. Mon corps serait jeté à la poubelle.

J’étais un rien du tout pour eux. Un corps.

Et puis ils ne m’ont pas jetée et je n’ai rien fait. Je n’ai même pas crié.

Et toi tu n’étais pas là. (pause)

Andrei je ne te blame pas de ne pas avoir été là.

Je n’attendais pas ton sauvetage.

Si ce n’étais pas toi qui m’aurais envoyé avec ce salot de Nikolaei à Yassi, je serais quand même partie.

On avait besoin de cet argent.

Douze autres filles avaient besoin de cet argent.

Je n’avais aucune valeur pour eux, mais je ne le savais pas encore.

Devant ces marguerites je m’en suis rendue compte – un rien du tout…

Je crois même que c’est une routine pour eux… ( à voix basse).

Les deux adultes étaient avant tout des violeurs. Et puis tout le reste.

Le fait qu’ils nous vendaient, venait après. C’était même superflu, conventionel.

Des violeurs d’abords.

Piégée, j’ai été marquée à jamais.

Ils sont revenus me voir plusieurs fois.

Je leur appartenais.

Ne me regardes pas comme çà Andrei.

J’ai eu le droit à ce retour.

Peut-être c’est le prix à payer pour pouvoir rentrer chez soi.

Peut-être c’est leur manière à eux de voir les choses, et peut-être que je devrait le voir comme çà, moi aussi.

Ils croient probablement encore que je leur dois quelque chose. Ils se voient en douaniers, en collecteurs de taxes, et tu leur dois quelque chose. Pourquoi m’auraient-ils laissée partir sans me faire payer le prix de ce retour. C’est peut-être ce qu’ils disent quand je me suis évadée…

La haine…celle des hommes, Andrei, rien ne m’étonne plus.

Peut-etre pour les hommes, la haine des femmes fait de l’acte sexuel une chose plus exitante.

Toi tu es un homme, tu dois le savoir.

Quand on viol une étrangère, et on l’a piégée, l’immobilisant au dessous de soi, entre ses pieds, sous tout le poids de son corps, lui clouant son poignard ?

N’est ce pas comme un meurtre ?

La suite est exitante , laisser derrière soi un corps dans le sang ?

Et voilà un autre meurtrier qui l’a échappé belle.

Tu es un homme et tu dois le savoir…

On ne devrait pas parler ainsi à son père !

Mais si, parce qu’on est ensemble dans cette bataille contre l’extinction…

Ils se ruaient tous les deux sur moi comme des fous furieux. C’est peut-être pour cette raison qu’ils le font à deux la première fois.

L’adolecent était là pour apprendre – comme apprendre à un chien – comme j’apprenais à notre chien Zaltan.

J’ai vu dans l’oeil de l’animal, la vie paisible qui dure, le calme impartial de l’imperturbable nature. La bête connait la peur ; mais aussitôt elle avance et son champs d’abondance broute une présence qui n’a pas le goût d’ailleurs…

Et si ils n’étaient pas des étrangers ?

Si cela m’arrivait ici à Sculeni ? çà serait différent ? la «Ville » ne le rend pas différent…

Ils ne m’ont pas seulement violée.

Ils me voulaient pour esclave. Obéissante. Subjuguée.

J’étais terrifiée.

Je glissais de plus en plus dans l’abime de soi. (sa voix et sa respiration change).

Je touchais chaque fois un peu plus à la mort.

Ceci n’étais pas en train de m’arriver, ce n’est qu’un mauvais rêve, juste un cauchemard…

Ils ont bu à ma terreur, à ma douleur, et ils ont fait la fête sur mon corps : « appelles ton chien Zaltan à ton secour. Ou est ton chien ? tu veux que je te montre le mien, salope ? ».

Je ne comprenais rien à leur langue étrangère. Ils étaient tous des étrangers !

Tes larmes ne me trompe pas Andrei, tes yeux me blament encore. Tu crois que je veux t’humilier.

Non, père.

Juges moi, mais seulement devant l’Histoire, celle que toi tu m’as enseignèe à l’école tant d’années.

Il faudra dorénavant apprendre à vivre avec moi-même, avec mon histoire, à reconquérir notre honneur dans le silence.

Tu m’écoutais, Andrei ?

Je ne suis pas ta fille d’il y a neuf ans, celle du pont de Sculeni.

La Rodica d’avant est morte.

Je ne sais pas encore ce qui va me ramener à la vie. La seule chose que je sais, est que mon retour, même à pied, me paraissait inévitable.

Tu ne peux pas encore en concevoir la raison. Je ne sais pas quoi faire pour te le faire comprendre.

Ne te cache pas derrière ton verre de vin, même si cette fête te rappelle toujours le jour de mon retour.

Ton verre, lèves le cette fois au soleil pour me regarder dans les yeux.

Elle lève vers lui un verre presque vide.

“- Ce vin qui tu as toujours fiérement produit et partagé avec tout le monde, fut la source de mon espoir.

Tes vignes aussi, ou tant de forces s’èpuisent lorsqu’un soleil terrible les dore… Et au loin, ces plaines luisent comme des avenirs qu’on ignorent.

Je ne pouvais être ton enfant à jamais. Je devais faire mes erreurs. Apprendre à marcher, à me guider moi-même.

Ce soir mon coeur fait chanter des anges qui se souviennent…

Une voix, presque mienne, par trop de silence tentée, monte et décide à ne plus revenir.

A quoi va t’elle s’unir ?

A ce pays, trop fier pour désirer ce qui transforme, obéisssant à l’été, semble autant que la vigne, heureux de se répéter.”

Devant elle un paysage vide… et les restes d’une fête foraine.